Les rencontres du hasard

Atelier d’écriture, texte le Lila.

L’artiste, le chanteur, la jeune fille.
Au début du mois de juin, il y avait une commémoration, en l’honneur du chanteur Charles Aznavour, rue Monsieur le Prince dans le 6ème arrondissement de Paris. Le matin à 9H45 chez moi, je lis je journal en buvant mon café, « une plaque au nom du chanteur sera fixée sur le mur de l’immeuble où la famille Shahnourh Varinag Aznavourian s’est installée en 1924, à son arrivée en France ». Comme je suis curieuse, je décide d’y aller pour me faire une idée. En 10 minutes, lavée, habillée, je sors de chez moi car la cérémonie était à 11H00. J’y suis allée pour passer le temps, ce jour là, ils avaient annulé le sport, il a fallu que je me rabatte sur autre chose et je voulais m’instruire sur l’organisation d’un hommage.

Cet artiste était un grand homme, les gens ne l’ont pas apprécié à sa juste valeur, qu’il chante encore à 90 ans, c’est pas normal ! C’est cela qui me fait de la peine, il a été apprécié très tard, il écrivait des chansons pour les autres, il a fallu qu’il décède pour être dans la lumière. On lui disait qu’il était pas beau, qu’il était petit, qu’il ne savait pas chanter. Il n’a jamais critiqué ses collègues du show biz, il me semble qu’il était très instruit ce Monsieur. Il avait dit qu’il aimait bien la langue française. Cela me touchait car il était étranger, je ne connais pas l’histoire des arméniens.

Alors, j’arrive dans le coin la police était là, ils étaient une dizaine sur place, la rue était bloquée par deux cars de police. Il y avait des chaises pour les invités, la rue était presque vide. Il n’y avait pas beaucoup de monde, j’ai reconnu Michel Drucker et Grand Corps Malade parmi les premiers, sur une cinquantaine de personnes invitées, leur nom étaient marqués sur les chaises. Nous étions une centaine de spectateurs, on était debout tout autour. J’ai profité de mon avance pour aller discuter avec Grand Corps Malade. Il était un des premiers invités, il était tout seul, ne parlait à personne, il regardait à droite à gauche, comme si il cherchait quelqu’un qu’il connaissait, il me faisait de la peine. Je lui ai dit « votre accident c’est dans un train que cela s’est passé ? », il me regarde, sourit, et me dit « non ». J’étais gênée, je ne savais pas où me mettre, j’avais fais une bourde, heureusement que je ne suis pas journaliste ! Après je lui ai dis « excusez-moi, j’ai confondu avec Djamel Debouze ! ». La police nous demandait presque de dégager, les invités arrivaient un à un, je ne les connaissais pas du tout, c’étaient des anonymes pour moi, cela ne m’intéressait pas, je ne les calculais même pas, je ne connaissais pas leur histoire.

Alors, je me suis glissée pour être à côté du pupitre, entendre les anecdotes sur la vie d’Aznavour, voir Madame Hidalgo, ses musiciens, un ancien ministre ami de Monsieur Aznavour, ses enfants, sa soeur. J’ai demandé quel étage il habitait et personne n’a su me le dire. La cérémonie est finie, je regarde les chaises vides avec les noms des invités : 50 personnes seulement pour une carrière de 50 ans, c’est peu !

Les caméramans tournent encore, je toujours en train de regarder les noms des chaises, je n’y prête pas attention, je sais que l’on ne va pas me reconnaitre, car je porte ce jour là des grosses lunettes noires, un bêrét, c’est mon style de tous les jours. Alors une jeune fille m’accoste, elle me dit « je vous connais », je lui réponds « Ah bon ? », je me dis c’est moi qui ai un trou de mémoire. Je rentre dans son jeu, en souriant je lui dis « Ah bon ? Vous me connaissez ? D’où ? Car moi je ne vous ai jamais vu ! ». Je plaisante pour ne pas la mettre dans l’embarras. Elle toute contente, elle me réponds « Mais si vous étiez ma prof de philo ! Dans le temps, quand j’étais étudiante ! » On parle de tout et de rien, comme si on se connaissait, je lui dis en la tutoyant « Dans quel département tu as été au lycée ? » parce que je la tutoie, elle est jeune, elle doit avoir 23/24. Elle me dit « le 95 ! », je lui dis « manque de chance je ne suis pas professeur et j’habite Paris ! ». Alors là elle a rigolé d’un bon rire, mais franchement elle s’est éclatée. Elle me dit que je lui ressemblais beaucoup, ma démarche mon look etc. J’ai passé un excellent après midi avec elle, elle était du quartier, un voisin est passé, très agréable aussi, on a discuté comme si on se connaissait tous les trois. Elle était de la rue. Elle n’avait jamais vu Aznavour, elle habitait trois patés de maisons plus loin.

En entendant prof de philo, j’étais sur un nuage, j’ai gravi les échelons sans même le savoir. Cela m’a fait plaisir ! en plus je ne fais rien pour accrocher les gens, c’est les gens qui viennent vers moi. Moi je suis une anonyme aussi, j’ai parlé à Grand Corps malade, car je le connaissais, et le jeune fille, elle m’a parlé car elle me connaissait, c’est en sens inverse en fin de compte.

C’est une histoire de gens qui se connaissent, sans se connaitre, et on ne sait pas pourquoi, notre lien à tous les trois, c’est le chanteur Aznavour. Maintenant qu’il est parti, j’ai l’impression qu’il est devant moi, j’ai son image en train de chanter.